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  • Photo du rédacteurPatricia Buigné

Kernunnos, le Dieu-Cerf

Dernière mise à jour : 27 nov. 2023

Les Celtes et le patriarcat


Nous sommes au troisième millénaire avant Jésus-Christ. Dans les plaines d’Europe centrale et de la Russie méridionale, on aperçoit au loin des cavaliers des steppes chevauchant leur monture. Un peuple nomade et pacifique qui va, là où leurs troupeaux de bêtes à cornes et de moutons les emmènent. Un peuple de connaissance qui utilise l’or, l’argent et le bronze, qui tisse la laine et fabrique des poteries. Un peuple organisé dont les familles sont regroupées autour du Père, et leurs tribus autour du Roi. Un peuple civilisé, dont la société se structure en trois classes : la classe sacerdotale, la classe de la noblesse guerrière et celle des producteurs. Un peuple dont les divinités sont masculines. Ce peuple d’indo-européens, ce sont les Celtes. Bientôt, ils sont condamnés à fuir les Huns, ces guerriers barbares venus d’Asie centrale. Alors, commence pour eux la grande migration vers l’Ouest qui les amène jusqu’en Gaule.


Les constructeurs de mégalithes et le matriarcat


Là, un autre peuple déjà en place les accueille. Un peuple dont on ne sait ni d’où il vient, ni qui il est au juste. Un peuple qui n’a pour tout outil qu'une hache de pierre et un levier de bois. Un peuple qui déménage d’énormes roches pour les aligner en files parallèles ou en former des chapelles funéraires et des allées couvertes. Un peuple puissamment hiérarchisé, discipliné et profondément religieux. Un peuple dont le culte est celui de la Grande Déesse, la Déesse-Mère qui, à l’image de la Terre, procède à toute vie mais aussi toute mort, dans un éternel cycle de renaissance. Ce peuple, ce sont les constructeurs de mégalithes qui seraient les héritiers des derniers Atlantes.


La rencontre des dieux celtes et de la Déesse


C’est ainsi que dieux celtes et déesses mégalithiennes apprirent à se connaître et à mélanger leur culture en un Tout harmonieux.

Les premiers étaient Maîtres du Ciel, de la force guerrière, de la science, de la sagesse et de la magie. Ils portaient la barbe des Sages, s’équipaient d’une massue comme expression de leur force, d’un chaudron comme accessoire de transformation magique et quelquefois d’une harpe d’or pour jouer une musique divine. Ils faisaient alliance avec le Soleil et sa grande lumière… Les secondes étaient Maîtresses de la Terre et de l’ombre, des cycles de naissance et de renaissance et du temps cyclique. Elles avaient une hache pour trancher les questions divines, cohabitaient avec les serpents pour leur énergie tellurique, les cerfs pour leur

énergie de renouvellement, les taureaux pour leur énergie de fécondité. Elles faisaient alliance avec la Lune qui manifestait l’ordre cosmique en présidant à tous les phénomènes périodiques comme les marées, la pluie, la germination des graines, le flux féminin…

C’est dans ce contexte, que Kernunnos est venu nous conter son histoire à travers quelques bribes, gravées sur le chaudron de Gundestrüp [1].



Kernunnos


Sage parmi les sages, assis en posture de yoga, Maître de la Nature, Kernunnos a intégré les animaux de la Déesse : des cerfs, des taureaux, des lions, un sanglier, un poisson, et même un serpent qu’il tient dans la main. Sa puissance est grande, symbolisée par la magnifique ramure de cerf qu’il porte sur sa tête. Il est l’époux de la Grande Déesse [2], la Terre-Mère. Il règne avec elle sur le monde du dessus comme dans le monde du dessous. Mais la Déesse va commettre un adultère. Ensemencée à l’automne, fécondée dans ses profondeurs hivernales par la force créatrice de Kernunnos, elle remonte chaque printemps à la surface de la Terre pour se préparer à accoucher d’une vie nouvelle en été. Elle délaisse alors complètement Kernunnos pour un autre dieu qui l'attire davantage. Il s'agit d'Esus [3], dont le travail de destruction connaîtra son apogée à l’automne. On dit que c’est à ce moment qu’une ramure de cerf pousse sur la tête de l’époux trahi. « Hou ! Hou ! Il porte des cornes », se moquent les les petits êtres de la nature. Ignorants que vous êtes ! Ne voyez-vous pas que Kernunnos arbore sur sa tête l’Arbre de la Connaissance, qu'il célèbre l'épanouissement glorieux du règne végétal, qu'il fait toute la fierté du règne animal avec sa splendide parure, et que ses deux antennes dressées font office de connexion avec le Ciel pour le règne humain, en même temps qu'elles délivrent un enseignement sur les cycles de renouvellement ?

Sage Kernunnos ! Patiemment, il attend que son épouse infidèle achève de consommer son œuvre de destruction avec Esus et daigne reprendre sa place auprès de lui. Alors, il perd ses ramures et, régénéré en son sein par le cycle infini de tous les renouvellements [4], il continue de progresser comme Maître de la Nature pour s’élever peu à peu au-dessus de la vie animale et devenir un être libre. C’est lui, sans aucun doute, le premier Initié, l’élu entre tous. C'est lui qui donnera le ton aux rituels initiatiques du Roi-Cerf au cours desquels la force agressive masculine canalisée, commence à se transformer en amour.



Le rituel du Roi-Cerf [5]


Il y a bien longtemps de cela, dans les temps reculés où l’on vénérait encore la Déesse Mère sans qu’il soit encore trop question des dieux, le peuple, nourri de cueillette et de chasse, avait à sa tête une Reine toute puissante, la Mère de la tribu. Elle avait appris à appeler les cerfs, à les enchanter, à leur demander de mourir pour que continue de vivre la tribu. Mais tout sacrifice exigeant un autre sacrifice, il fallait en retour qu’un des hommes de la tribu offre à un cerf la possibilité d’échanger sa vie avec la leur. C’est ainsi que chaque année, au solstice d’été, un rituel était institué. Un homme brave était choisi. On lui mettait sur la tête les ramures d’un vieux cerf, on l’enveloppait d’une peau non tannée à l’odeur persistante et on le mêlait au troupeau de cerfs agressifs. Un combat s’engageait dont nul ne savait qui sortirait vivant. Longuement, vaillamment, l’homme-cerf combattait avec les autres cerfs. S’il mourait, c’est qu’il n’était pas digne de vivre puisque le cerf était meilleur que lui. S’il survivait, il était reconnu comme le plus fort et le plus courageux des hommes. Il devenait le Roi-Cerf, encore appelé le Grand Cornu, et il pouvait, pour une année seulement, devenir l’époux de la Reine, l’heureux représentant de Kernunnos. Lorsque son temps était écoulé, un remplaçant devait être choisi…

De Kernunnos au Diable

Depuis longtemps, les rituels païens liés à la nature n’ont plus cours. Un nouveau Dieu est venu, repoussant Kernunnos dans l’ombre. Les traits du Dieu-Cerf se sont peu à peu déformés. Son visage est devenu grimaçant. Ses magnifiques ramures se sont atrophiées. Et, comme il fallait bien un "bouc émissaire" pour endosser tous les péchés du monde, on dotera Kernunnos de cornes de bouc [6] et on verra en lui le Diable.


Mais qui se souvient encore de Kernunnos ?


Patricia


[1] Chaudron d’argent découvert en 1891 dans un marécage du Jutland, près de la ville danoise d’Alborg [2] Le nom de la Grande Déesse n’est pas précisé dans l’histoire. Pourquoi pas Kerridwen ? [3] Esus est un dieu destructeur représenté abattant un arbre à la hache [4] Dans la nature, aussi, « les bois du cerf tombent en février et repousse de mars à septembre en comptant un andouiller de plus chaque année. Ils atteignent leur plein épanouissement au moment où toutes les forces de l’animal vont être consacrées après les luttes contre les rivaux à la fécondation des femelles. Son rôle de géniteur accompli, le mâle perd à nouveau l’ornement qui faisait sa fierté » Yann Brékilien [5] Inspiré par une description du livre « Les Dames du lac » de Marion Zimmer Bradley

[6] Dans le tarot de Marseille de Nicolas Conver, le Diable a gardé ses antiques ramures de cerf.



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