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  • Photo du rédacteurPatricia Buigné

Innana et le mariage sacré


Chaque année, dans ma cité d’Uruk, on célèbre le Mariage Sacré. Il s’agit d’un rituel de fécondité Par lequel la Grande Prêtresse, ma divine représentante, Va s’unir au Roi, le « taureau fécondant ». Par cet acte, il s’agit d’assurer à la cité, Abondance et prospérité, Tout en donnant au souverain sa légitimité pour une année. Après quoi, le Roi sera sacrifié pour la communauté.

N’ayez crainte ! Il s’agit là d’une métaphore Pour dire que le blé dont la graine est enfouie, Devra être coupé lorsqu’il sera levé.

 

Pour l’instant, je veux vous raconter Comment mon histoire est jouée, Chanté et même dansée, Afin que la hiérogamie – ainsi désigne-t-on l’union d’un humain et d’une divinité – Puisse être accomplie Dans une divine chorégraphie.

 

Nous sommes au Printemps, Le jour du Nouvel An. C’est le temps des semailles et de l’allégresse, Celui d’une nouvelle jeunesse. Mon sanctuaire est en fête. En son centre, on a dressé deux trônes et une couche Sacrée. Sur cette dernière, des brassées de joncs frais ont été disposées, Recouvertes d’un couvre-lit en lin, spécialement confectionné. Au sol, des copeaux de cèdre, Parsemés ça et là pour exalter les sens Répandent dans l’atmosphère leur subtile fragrance.

 

Je suis prête, Incarnée dans le corps de ma Première Prêtresse. On vient de me baigner, me parfumer, me parer. J’attends le Roi, dans le rôle de mon amant Dumuzi. Le voici justement qui arrive. Il porte ses rituels atours avec, sur sa tête, la perruque couronnée. A mes pieds, il dépose les cadeaux dont ses bras sont chargés. Je suis séduite d’être ainsi célébrée. Des trônes nous sont offerts. Selon la liturgie établie, l’assistance entonne des chants d’amour dans un refrain scandé. L’époque est sans tabou et les mots sont directs :

O mon Amant, cher à mon cœur, Le plaisir que tu donnes est doux comme le miel ! O mon Lion cher à mon cœur, Le plaisir que tu me donnes est doux comme le miel !

De plus en plus puissantes, les voix s’élèvent vers les cieux, Tirant de leur transport des accents mêle-aux-dieux. Les lyres et les flûtes se mettent à jouer Invitant les prêtresses à danser pour les dieux. Alors le Serpent, transparaissant dans leur corps ondulant, S’enroule et se déroule Jouant avec leur voile qui vole et les dévoile. Du ciel à la terre et de la terre au ciel, l’onde d’amour circule. Le moment est intense.


Transportée par la cadence, L’assistance bascule dans une  transe-en-danse. Je me sens enfiévrée. J’entraine le Roi vers la couche Sacrée Pendant que le chœur continue à chanter :

Amoureux sumériens

«Epoux laisse moi te caresser. Mes caresses sont plus douces que le miel. Dans la chambre nuptiale, laisse-nous jouir de ta beauté généreuse. « Déesse, j’accomplirai pour toi les rites qui me confèrent la royauté. Je suivrai pour toi le modèle divin ».

Alors l’invitation se fait plus claire et plus directe :

« Viens labourer ma vulve, homme de mon cœur » !

 

Bientôt en grand émoi, J’attire le Roi vers moi. Nous échangeons des caresses, D’ivresse et d’allégresse. Ma vulve est labourée et la graine déposée. Mon corps-terre est comblé Et mon âme, embrasée. La végétation va pouvoir pousser.

Je souhaite à mon Roi-Dumuzi Belle souveraineté et longue vie Et lui remets les royaux insignes, L’anneau et la baguette, Comme gage de l’union du féminin et du masculin. Bien sûr, j’y ajoute sa couronne et son sceptre. Par ce geste, je l’investis dans son viril pouvoir et le consacre Roi de statut divin.

 

Qui donc sait encore que la monarchie « de droit divin » provient de ce rituel ancien ?

Cette joie que j’apporte n’est pas que pour le Roi. Tout le monde y a droit. Ainsi, j’envoie ma fidèle servante chercher les hommes aux champs. Ils entonnent mes chants En cheminant jusqu’à mon temple, ce lieu sacré. Là, des Prêtresses d’Amour qui leurs sont réservées Vont les aimer Activant dans le cœur de ces fiers laboureurs, L’étincelle qui jaillit dans le ciel lorsque s’unissent les corps Et dont l’éclat perdure dans l’abondance de leur future récolte. Ces Prêtresses d’Amour, si dévouées à mon culte, Vos historiens les ont, moins joliment, nommées « prostituées sacrées ».

 

De mes chants liturgiques, je n’ai livré qu’une parcelle. Le « Cantique des Cantiques » les reprend, en plus édulcorés. Inspirés par Celle qu’on a fini par oublier Et par Dumuzi, son bien-aimé, Ils n’évoquent plus que l’amour de Yahvé pour son peuple d’Israël Ou bien l’amour du Christ pour son épouse l’Eglise…

Si je vous fait le récit du Mariage Sacré C’est qu’en chaque être, je voudrais réveiller La vivante expérience de l’Amour humain Transcendée par l’Amour divin.


Patricia

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